Le jeu de devinette entre marché et BCE
Comme elle l'avait laissé entendre le mois dernier, la BCE vient de relever de 0,25 % ses taux directeurs pour les porter à 1,25 % alors qu'ils étaient restés figés à 1 % depuis un peu plus de 2 ans.
Face à la hausse des produits non-énergétiques rejointe récemment par la progression du baril de pétrole, la BCE s'est donc exécutée pour contenir les pressions inflationnistes en conformité avec son mandat qui est d'assurer la stabilité des prix à moyen terme. Comme elle estime selon les propos de son Président ce jour que « les risques sur les perspectives à moyen terme des prix restent orientés à la hausse », il lui était très difficile de se dédire.
Ce geste largement attendu qui n'a pas perturbé les marchés financiers laisse par contre maintenant place à une question beaucoup plus ouverte et très incertaine. Est-ce un geste isolé comme en juillet 2008 où elle avait relevé ses taux de 4 à 4,25% dans un contexte de flambée du pétrole ou bien s'agit-il du début d'un cycle de hausses de taux, c'est à dire d'un début de normalisation pour sortir d'une politique monétaire très accommodante avec des taux ultra-bas ?
J-C Trichet n'a pas apporté d'élément de réponse lors de sa conférence, bien au contraire. « J'ai dit que nous n'avons pas décidé que c'était la première d'une série de hausses. Mais vous savez, au regard de notre propre doctrine passée, que nous faisons tout ce que nous jugeons nécessaire pour assurer la stabilité des prix à moyen terme. »
Autre élément perturbant, la BCE vient de voler la vedette à la Fed, elle qui d'ordinaire était en retard derrière la banque centrale américaine qui enclenchait les cycles de hausse et de baisse des taux la première parmi les grandes banques centrales de la planète.
Dans ces moments incertains où le débat va faire rage et la spéculation redoubler, la notion d'anticipations d'inflation, déjà centrale, prend une importance accrue pour permettre de comprendre ce qui se passe et se guider au plus juste.
La question des anticipations d'inflation a d'ailleurs pris du poids dans le débat interne de la Fed comme son compte-rendu l'a mis en lumière il y a 48 heures. La BCE indique également que « sa décision contribuera à garder les anticipations en matière d'inflation dans la zone euro fermement ancrées ». Cet ancrage (c'est à dire le maintien du taux d'inflation juste en-dessous de 2%) vient d'ailleurs d'être ré-affirmé comme étant un « pré-requis » à la politique monétaire.
Dans le language courant, il est d'usage de présenter le principal risque inflationniste en tant que risque de « second tour », c'est à dire une boucle prix-salaire qui parviendrait à s'auto-entretenir. Si c'est effectivement le risque à l'arrivée (en fait donc le résultat que la BCE veut éviter), à la base du phénomène, la condition ou le pré-requis est qu'il n'y ait pas d'élévation des anticipations d'inflation chez les agents économiques qui puissent faire le lit à ces effets inflationnistes auto-entretenus.
Or, les anticipations d'inflation du marché obligataire montrent un tout premier dérapage. Pour mémoire, le point mort d'inflation est obtenu en retranchant du taux nominal des obligations à taux fixe le taux des obligations indexées sur l'inflation pour une même durée (obligations à taux variables). Le résultat représente l'anticipation du marché du taux d'inflation moyen sur la durée considérée.
Au cœur de l'Europe, France et Allemagne connaissent une première envolée dans ce sens avec des points morts respectifs qui rejoignent le niveau du point mort d'inflation aux USA (à 10 ans)
La variation la plus forte revient d'ailleurs à l'Allemagne avec une petite poussée de fièvre. Par delà les débats et les spéculations, cette variable est l'un des meilleurs indicateurs pour saisir si les marchés anticipent ou non de l'inflation et si la BCE aura ou pas à réaliser de prochains relèvements (ou encore si elle aura tendance à infléchir sa politique à l'avenir)
Fin 2009, le marché avait commencé à tester la zone euro sur les risques souverains et la politique budgétaire des différents états les plus fragiles. Une sanction par les taux avait alors débuté à la périphérie de l'Europe. Ici, c'est moins fort mais le marché vient de démarrer un jeu de devinette en forme de test sur la politique monétaire. C'est une sanction par les taux une nouvelle fois, au travers des points morts d'inflation, cette fois au coeur de la zone euro.