Investir dans l'or : Interview de Léonard Sartoni, auteur d'un guide d'investissement (Partie 1)
(Copyright©apprendrelabourse.org) Léonard Sartoni, spécialiste du marché de l'Or qui vit en Suisse de ses investissements dans ce domaine, vient de signer un livre paru aux Editions E.Valys intitulé '2008-2015 : pourquoi l'or va battre la performance des actions et des obligations et comment vous pouvez en profiter' (le lien donne accès à la 4 ème page de couverture, au plan et à l'introduction)
J'ai décidé de vous le présenter même si l'auteur comme le titre le laisse entendre présente une vision personnelle très positive sur l'or car ce livre comporte de nombreux aspects pédagogiques et a une approche très pratique pour toute personne qui souhaiterait s'initier et se perfectionner dans la gestion d'un portefeuille de valeurs minières du secteur ou tout simplement investir dans le métal précieux. Il est par ailleurs excessivement rare de disposer de livres sur le sujet en français, qui plus est pleinement à jour.
Les plus aguerris ou les personnes en recherche de convictions fortes auront en main une description étayée et très tranchée propre à éclairer leurs anticipations personnelles, la fin d'année étant propice à ce genre d'exercice.
Comme cet ouvrage est autant un plaidoyer qu'un guide pour l'investisseur, j'ai subdivisé l'interview en 2 parties, la première, aujourd'hui porte sur les éléments historiques, descriptifs du marché de l'or et les possibilités d'investissement, la seconde qui paraîtra d'ici quelques jours repose sur quelques questions venant contrer certains arguments pour ouvrir le débat et mettre les choses en perspective.
Merci à lui pour ce travail et ses réponses à mes questions :
GC : Le marché de l'or est tombé progressivement en désuétude entre 1981 et 2000 dans l'esprit de la très grand majorité des particuliers. La baisse des cours sur la période est en cause mais qu'est ce qui explique cette longue baisse et surtout quels sont les éléments principaux qui expliquent le renversement de tendance haussier qu'on connaît depuis le début du siècle ?
LS: A mon avis, on ne peut pas comprendre ce qui se passe dans les marchés financiers, si on ne prend pas suffisamment de recul. L’image qui nous apparaît, si on étudie les tendances de très long terme, c’est l’alternance de grands cycles de hausse, et de grands cycles de baisse sur les marchés des actions, des matières premières, des obligations, et dans une moindre mesure de l’immobilier. Les grands cycles seraient la conséquence de la psychologie des investisseurs. Tantôt vous observez une confiance grandissante dans les actifs financiers comme les actions, et tantôt vous observez un comportement beaucoup plus prudent.
Le graphique suivant vous montre l’alternance des cycles de hausse et de baisse pour les valorisations des actions (en bleu), et pour les prix de l’or et des matières premières (cycle MP en rose). Lorsque les valorisations des actions grimpent, nous sommes dans un marché haussier pour les actions (les investisseurs sont prêts à payer toujours plus cher pour détenir des actions). Les valeurs des actions et les prix des matières premières sont en parfaite opposition de phase. C’est somme toute assez logique : lorsque le prix des matières premières baisse (en valeur corrigée de l’inflation), les entreprises font davantage de profits. Toute l’économie en profite. Et lorsque les prix des matières premières grimpent, comme aujourd’hui, les profits des entreprises ont tendance à baisser.
Un autre facteur explique ces oppositions de cycles : la nature psychologique des investisseurs, plus précisément leur degré de confiance dans les actifs financiers, en particuliers les actions. Cette confiance se construit sur de très longues durées, un peu comme la confiance de quelqu’un qui apprendrait à conduire. Une fois que la confiance s’est installée, l’inertie de la tendance est difficile à renverser. L’étude de ces cycles nous amène à penser que cette confiance aboutit tôt ou tard (entre 8 et 20 ans) à une forme d’exubérance, et occasionnellement, à un grave krach boursier. Notre automobiliste prendrait systématiquement de plus en plus de risques, en roulant de plus en plus vite, et en minimisant toujours plus les dangers. Après avoir été grièvement blessé (comme après le krach de 1929), il passera à une conduite excessivement prudente et méfiante (les valorisations des actions ont suivi une tendance baissière 20 années après le krach de 1929). Les marchés financiers ne sont finalement pas très différents de ce vous pouvez observer dans la vie de tous les jours !
Il est important de réaliser qu’un cycle ne se renverse pas avant que sa tendance n’aboutisse à une exubérance ou à une capitulation générale, visible tant au niveau des valorisations, que du degré de confiance dans l’actif en question. En 1980, une bulle spéculative s’était formée dans le marché de l’or, tandis que tous les journaux annonçaient la mort des actions, après le long marché baissier sur les actions, débuté en 1966. En 1982, les valorisations, ainsi que le degré de confiance pour les actions avaient atteint un point bas extrême. La suite, vous la connaissez certainement, car c’est justement à cause du grand cycle de hausse 1982-2000 que tous les conseillers en placement vous disent aujourd’hui, rempli de confiance, que de toute façon, les actions ça grimpe sur le long terme. L’or a baissé de 1980 à 2001, tandis que les valorisations des actions ont grimpé jusqu’à ce qu’une bulle spéculative se forme vers la fin des années 90. Le prix de l’or a baissé, parce que les investisseurs ne ressentaient plus le besoin de se protéger. En 1999, son prix ne reflétait plus que la valeur d’une simple matière première, plus ou moins rare, mais n’intéressant plus du tout les investisseurs. Il y a eu renversement à ce moment-là parce que les deux cycles étaient allés en bout de course.
Cette opposition de cycle entre l’or et les actions se retrouve également entre l’or et les obligations. Lorsque les taux d’intérêts affichaient deux chiffres en 1980, l’or était devenu moins intéressant que les obligations, d’autant plus que la prime de risque sur l’or était très élevée (en comparaison, il faudrait que le prix de l’or grimpe à plus de $5000/once pour que l’on retrouve une prime semblable !). Aujourd’hui les obligations n’arrivent même pas à battre le taux REEL d’inflation…
Pour répondre à votre question, le renversement de tendance observé en 2001 sur l’or est la conséquence d’une dégradation de la confiance sur le marché des actions, de taux réels négatifs sur l’obligataire, et d’une manière générale, d’une anticipation des investisseurs sur la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine. Sur ce dernier point, les investisseurs qui accumulent en ce moment de l’or redoutent que la Réserve fédérale américaine accélère le processus de dévaluation du dollar, afin de rendre la montagne de dettes qui s’est accumulée sur les ménages et le gouvernement plus facile à porter. D’autres facteurs vont également nourrir ce cycle de hausse pour l’or, comme par exemple l’augmentation du niveau de risque dans tout le système financier, le sous investissement dans le secteur des mines d’or, la diminution des réserves d’or des banques centrales, et bien d’autres facteurs encore.
GC: Vous décrivez les différentes solutions pour investir, de l'or physique sous forme de pièces aux minières exploratrices que vous qualifiez de véritables "billets de loterie". Pourriez vous nous citer quelques exemples de performances pour certains types de minières ainsi que les risques associés comparativement au physique ?
LS: L’indice des grandes sociétés minières aurifères est passé de 35 points en 2001, à environ 400 points aujourd’hui, soit une performance de +1042%. Mais certaines petites sociétés minières aurifères ont fait encore mieux. Certaines ont su développer leurs projets pour les amener à la production, ou ont mis à jour de nouvelles ressources aurifères en sous-sol. Certaines étaient simplement assises sur des gros gisements aurifères, et le marché leur a donné une plus grande valeur, étant donné la hausse du prix de l’or de 2001 à 2007. Je peux vous citer Eldorado Gold, dont l’action est passée de 0,25CAD à 6CAD aujourd’hui (+2’300%), Seabridge Gold qui est passée 0,45CAD en 2001 à 27CAD aujourd’hui (+5’900%), Genco Resources est passée de 0,10CAD en 2002 à 3,7CAD aujourd’hui (+3’600%), Silvercorp Metals, qui est une société argentifère cette fois, a grimpé de plus de 20’000% en l’espace de 5 ans !
Le risque est très élevé dans l’industrie minière. Dernièrement, la société Novagold, une société qui travaillait à amener un gros projet à la production en Colombie Britannique (Canada), a chuté de plus de 50% après avoir annoncé renoncer temporairement au développement du projet, suite à des calculs de faisabilité moins bons que prévus… 1 milliard de capitalisation s’est envolé en une séance. Je pense que l’argent facile dans les petites minières a été fait durant la phase de hausse 2001-2003. Durant cette période, pratiquement toutes les actions de sociétés minières flambaient. Ensuite, la hausse du prix du pétrole et des autres matières premières a fait grimper les coûts opérationnels pour les mines et la prospection. Durant la période 2004-2007, il fallait se montrer très sélectif en investissant sur les minières, surtout les petites. Je pense que la période suivante va à nouveau se montrer très rémunératrice pour les actionnaires dans les petites sociétés minières aurifères, car plusieurs indicateurs parlent pour un renversement de tendance entre l’or et les autres matières premières. Cela nous annonce une stabilisation, voire une baisse des coûts opérationnels dans les années à venir.
Entre le physique et les grosses minières, la différence de risque est élevée, mais entre le physique et les petites minières, la différence de risque est énorme ! Le marché de l’or est déjà un marché très volatil, mais celui des petites sociétés minières est le marché le plus volatil au monde ! Les mines d’or ne pourront jamais remplacer en portefeuille le niveau de protection qu’offre l’or physique. Les sociétés minières doivent travailler à extraire le métal du sous-sol, et d’ici à ce qu’il soit coulé sous forme de lingots, il peut arriver n’importe quel genre d’imprévu ! Votre or physique, lui, est bien réel, et il a déjà passé toutes les étapes périlleuses de la prospection, de l'extraction et du raffinage.
Le secteur des minières d’exploration pure n’a d’ailleurs pas du tout bien performé jusqu’à présent. Je pense que ce secteur ne se réveillera qu’avec la formation d’une bulle spéculative sur l’or, c’est-à-dire seulement en cas d’engouement populaire pour tout ce qui a trait à l’or. A ce moment-là, vous pourriez très bien voir un « remake » des actions Internet de la fin des années 90.
GC : Au sujet des trackers-or ou ETF qui permettent d'acquérir une once d'or sans la détenir physiquement tout en bénéficiant de sa performance. Que pensez vous de ce type de placement ?
LS : Ces instruments sont très pratiques pour investir dans le marché de l’or physique. Vous les achetez comme une simple action, et vos parts sont couvertes par de l’or physique, stocké quelque part au nom de l’institution. Vous évitez d’autre part l’imposition du fisc à la revente, ce qui n’est pas négligeable ! Il faut savoir qu’en France, la détention d’or physique est imposable dès le moment où vous vous présentez à un guichet pour le revendre. Ce type de placement peut très bien convenir pour un investisseur qui ne désire pas conserver son or longtemps, ou qui voit dans l’or un marché comme tous les autres. A présent, si vous recherchez une protection financière avec l’or, je ne vous recommanderais pas nécessairement ce type de placement. Rien ne vous garantit qu’en cas de krach financier votre tracker ne soit pas suspendu, confisqué selon le pays dans lequel vous vous trouvez, ni que toutes les barres de métal qui servent de couverture n’existent réellement. Il faut savoir que les banques peuvent se prêter entre elles de l’or au même titre qu’elles se prêtent de l’argent. De ce point de vue, certains trackers me semblent plus sûrs que d’autres. La sécurité absolue pour l’investisseur désirant acheter de l’or à titre de protection financière reste le bon vieux coffre à la banque, avec ses propres lingots et pièces d’or…
GC : Les gestionnaires de portefeuille ou de patrimoine indiquent souvent pour bien diversifier ses avoirs de détenir 5 % d'or. Mais entre le physique, les trackers, les différents types de minières dont on vient de parler et les fonds d'investissement ou sicav disponibles en la matière, il n'est pas facile de choisir d'autant que cette part est minime ce qui est très peu aisé pour la répartir encore entre différents supports pour des portefeuilles même de taille moyenne ! Quelle est votre approche ?
LS : Je pense qu’il y a deux approches différentes avec l’or. La première consiste à mettre un peu d’or en portefeuille à titre « d’assurance financière ». L’or est là uniquement pour couvrir les éventuelles pertes liées à un krach boursier ou à une crise monétaire, évènements rares, mais qui ne peuvent pas être complètement écartés aujourd’hui. Dans cette optique, je recommande principalement de détenir de l’or physique (pièces d’or et lingots), et en détention propre (safe dans une banque ou trou au fond de votre jardin). Dans cette approche, votre or dort, et tout comme votre assurance incendie, vous ne souhaitez évidemment pas que le feu se déclare un jour ! Je pense que 8% d’or est un minimum en l’état actuel des choses…
La seconde approche est de spéculer sur la hausse du cours de l’or dans les années à venir. A ce moment-là, vous pourriez allouer une plus grosse part à l’or, peut-être 20% de votre portefeuille. Selon votre profil de risque, vous pourrez choisir d’inclure ou non des actions de mines d’or en portefeuille, mais dans tous les cas je recommande au moins 50% d’or physique, sur la somme que vous désirez investir. Pour jouer les mines d’or, je recommande avant tout un bon fonds commun de placement, si possible avec une bonne exposition aux sociétés de petite taille.