Efficience des marchés : de la théorie à la pratique…
(Michel Delobel / ACGest - formations et coaching) - Il y a quelques mois de cela, j’ai été amené à former des gérants sur le thème de l’efficience des marchés financiers, et la façon de constituer un portefeuille efficient…
Pour un adepte de l’analyse graphique comme moi, et qui a tendance à être assez méfiant sur l’impact du fondamental à CT sur les marchés, et sur toutes les théories classiques de gestion de portefeuille, l’exercice fut amusant et assez instructif…
Mais vous ne savez peut-être pas ce qu’est réellement l’efficience des marchés ? Commençons donc par quelques définitions.
Si on cherche la signification de l’efficience dans un dictionnaire, on trouve des explications comme « rapport entre le résultat et les ressources utilisées », ou encore « capacité à obtenir un rendement optimum ».
Une définition qui se rapproche tout à fait de celle d’un portefeuille efficient, qui est un portefeuille dont la rentabilité est maximale à un risque donné… Jusque là, rien de bien extraordinaire, quoique…
Mais avant de revenir un peu sur ce concept, bien joli en apparence, terminons-en avec les définitions, avec ce qu’est l’efficience des marchés:
Pour faire relativement simple, et sans vouloir rentrer dans des formules mathématiques, l’efficience des marchés est une hypothèse (!) qui veut que dans un marché suffisamment important et suffisamment bien informé, les cours reflètent toujours le juste prix car les opérateurs réagiraient correctement et immédiatement aux informations qui leur parviennent…
Cette hypothèse, due à Eugène Fama, et datant des années 50, a servi de base à de nombreuses modélisations financières et le développement de nouveaux outils de finance de marché et autres théories, et notamment le MEDAF, ou Modèle d’Évaluation Des Actifs Financiers…
Ce MEDAF s’appuie sur le postulat que l’espérance de rentabilité d’un titre s’ajuste à l’équilibre au niveau des anticipations des investisseurs selon l’hypothèse de marchés efficients.
Voilà qui mérite quelques explications et commentaires.
Le fait de vouloir construire un portefeuille efficient est tout à fait légitime, et je dirais même que c’est ce que cherche à faire n’importe quel investisseur lambda qui se soucie de ses placements financiers, sans forcément en avoir conscience. Si vous avez des fonds à placer pour du court terme sur un support sans risque, n’allez-vous pas faire le tour les livrets A, livrets orange, SICAV monétaires et autres placements « euro » pour trouver celui qui vous apporte le meilleur rendement ?
Il en est de même avec un portefeuille financier quel qu’il soit, et c’est le bon sens même que de chercher à optimiser le rendement à un risque donné. Là où cela se complique, c’est dans la mise en pratique…
Car il va falloir d’une part savoir quel risque on est prêt à courir, et d’autre part comment optimiser le rendement. Pour un placement court terme sans risque, c’est simple. Mais pour un placement moyen ou long terme, comment déjà définir de façon suffisamment précise le risque que l’on est prêt à prendre ? Comment ensuite évaluer et mesurer ce risque ? Et enfin, comment être sûr que ce risque ne va pas évoluer pendant la durée de notre investissement ?
Comme le dit la très belle formule « les performances passées ne présagent pas des performances futures », je dirais que « les risques passés ne présagent pas des risques futurs »… Nous voilà donc bien avancés côté risque…
Et côté optimisation des performances ? Là aussi, les choses sont loin d’être simples, à partir du moment où il n’est pas possible de garantir quelque performance que ce soit en dehors de rendements monétaires.
Si vous prenez un portefeuille investi à 100% en actions, et en faisant abstraction du fait qu’il existe des actions plus risquées et plus volatiles que d’autres, comment faire pour optimiser sa performance « à coup sûr » ?
On peut bien sûr à cet instant faire intervenir le talent du gestionnaire ou de l’investisseur, mais de là à savoir si on peut vraiment optimiser les résultats de façon un peu plus systématique et rassurante…
Beaucoup ont donc cherché à modéliser les marchés, analyser et catégoriser les valeurs, pour obtenir le Graal, à savoir un modèle ou un système qui leur donnerait une performance maximale à risque donné.
Pour cela, ils se sont justement appuyé sur les travaux de Fama, Tobin et Markowitz, ou encore Sharpe pour en arriver à la formule du modèle de marché, au MEDAF et au fameux « bêta » d’un titre, qui correspond à la réactivité d’un titre par rapport aux variations de marché (ou encore à l’intensité de covariation entre l’espérance de rentabilité du titre Ri et celle du marché Rm pour les mathématiciens et statisticiens, ou dit encore autrement à la pente de la droite de régression linéaire de Ri sur Rm).
Soit me direz-vous, ça à l’air bien beau, mais est-ce que ça marche ?
Est-ce que tous ces travaux de modélisation, d’appréciation et gestion du risque, dans le but d’obtenir une performance maximisée, fonctionnent ?
Eh bien pas vraiment, car comme souvent, il y a un bel écart entre la théorie et la pratique. Le « bêta » par exemple n’est que très rarement stable dans le temps. Sa valeur dépend également très fortement de la période et de la durée considérée.
Et la principale raison de ces limites de fonctionnement tient dans la notion d’efficience des marchés prise comme hypothèse de départ…
Rappelons sa définition : l’efficience des marchés est une hypothèse qui veut que dans un marché suffisamment important et suffisamment bien informé, les cours reflètent toujours le juste prix car les opérateurs réagiraient correctement et immédiatement aux informations qui leur parviennent…
Rappelons également que ceci a été établi dans les années 50, alors que nous étions dans une situation très différente de celle de nos jours, très loin de disposer des moyens de communication d’aujourd’hui, mais dans un marché beaucoup plus restreint et beaucoup plus aux mains des professionnels. Pourtant, ces théories n’ont jamais autant été utilisées et reprises que sur ces 15 ou 20 dernières années !
D’ailleurs, que ce soit dans les années 50 quand les acteurs étaient bien moins nombreux, ou aujourd’hui où la planète entière ou presque peut intervenir sur les marchés financiers, comment croire que tous les opérateurs puissent réagir immédiatement aux informations qui leur parviennent, et surtout correctement, aussi bien informés soient-ils ? Que veut d’ailleurs dire « correctement » ?
N’y a t’il qu’une seule façon d’analyser une information, d’analyser un bilan ou les résultats d’une entreprise ? Bien sûr que non, et c’est d’ailleurs ce dont on s’aperçoit très rapidement en comparant les travaux des différents analystes financiers. Que dire alors de la masse de tous les investisseurs, particuliers comme professionnels ?
Sans parler des délits d’initiés, il n’est pas possible, même aujourd’hui avec internet et tous les moyens de communication dont nous disposons, que les opérateurs réagissent simultanément et « correctement » aux informations qui leur parviennent. Et pourtant, on ne peut pas dire que nous ne sommes pas dans un marché suffisamment important et suffisamment bien informé.
Mais le niveau de formation, les objectifs et les intérêts de chaque investisseur sont tellement différents qu’il n’est pas possible de considérer qu’ils vont réagir « correctement » ou en tout cas de concert.
Des approximations et simplifications de ce genre se retrouvent à tous les niveaux de la chaîne. Ainsi, le MEDAF s’appuie sur le postulat que l’espérance de rentabilité d’un titre s’ajuste à l’équilibre au niveau des anticipations des investisseurs.
Mais quel est ce niveau d’anticipation des investisseurs ? Il suffit déjà de comparer les anticipations des principaux analystes financiers de la place pour s’apercevoir qu’elles n’ont rien de convergeant… Comment existerait-il alors un niveau d’équilibre, d’autant que les intérêts des uns et des autres sont souvent très différents ?
Et que dire de l’influence des produits dérivés, sur lesquels il arrive même qu’il y ait plus de fonds investis que sur le sous-jacent, influant donc sur ce dernier souvent sans rapport avec une quelconque analyse fondamentale du titre.
Expliqué autrement, toutes ces théories et modélisations partent du principe que l’évolution d’un cours serait uniquement le fait d’informations et donc de données fondamentales, et qu’il n’y aurait qu’une façon de les interpréter et de les analyser. Or c’est oublier toute la partie psychologique que l’on peut retrouver au niveau de l’analyse technique, de plus en plus influente sur l’évolution même des marchés financiers.
Bref, cela fait beaucoup de réserves pour une seule et même hypothèse !
Et il existe encore bien d’autres limites, qu’il m’est difficile d’aborder ici sans vous détailler plus toutes ses théories…
Autant dire que si tous ces travaux ne sont peut être pas à jeter à la poubelle, ils me semblent bien inutilisables pour optimiser la gestion d’un portefeuille ou même en évaluer le risque. J’irai même jusqu’à dire que ces théories et modélisations sont à l’origine de la crise financière qui a servi de déclencheur à la crise économique actuelle. Ce ne sont bien entendu pas les seules causes, mais elles y ont contribué, faussant complètement l’appréciation du risque de la part de tous les intervenant de la place utilisant ce type de modèles…
Il semble donc que nous soyons à l’aube d’un profond changement dans l’approche que nous devons avoir des marchés financiers et de la constitution de portefeuilles dits efficients. Les banques et autres acteurs financiers sauront-il prendre le virage pour éviter une nouvelle crise ? Et quelle approche avoir pour mieux coller à la réalité des marchés ? S’il est facile de critiquer, il est bien plus difficile de proposer et de construire. Mais il faudra bien passer par là… A bon entendeur