Risques souverains : la grande inconnue du chiffrage des renflouements
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Après avoir fait un point sur la situation actuelle des risques de crédit des Etats, vu les défis qui se profilent à l'horizon à moyen terme et enfin fait quelques grands rappels historiques dimanche dernier sur les crises financières, nous allons voir ensemble aujourd'hui parmi les pays disposant de la notation suprême 'AAA' qui est à risque et qui l'est moins.
Dans un 2ème temps, nous aborderons l'élément crucial de cette crise en terme de risque : c'est à dire la grande inconnue concernant les engagements des Etats et le coût financier qui en résulte.
• Le constat au présent - une grande disparité des notations AAA face à la crise :
L'agence de notation Moody's a fait paraître une étude le mois dernier intitulée "jusqu'où les gouvernements notés AAA peuvent ils étirer leur bilan financier ?" dans laquelle est proposée une synthèse des risques de dégradation de la note de crédit en fonction de 2 critères :
- l'importance du problème général de la dette
- et les capacités des pays à encaisser les chocs qui lui sont liés directement ou indirectement
3 catégories de nations notées AAA en ressortent :
- les pays 'vulnérable's comme l'Espagne (Fitch et Moody's ont laissé pour l'heure la note AAA contrairement à Standard & Poor's) ou l'Irlande.
- les pays 'résilients', actuellement en test, comme les US qui présentent de loin le plus gros risque mais qui en contrepartie disposent de la capacité à s'adapter la plus nette, notamment du fait de la taille de leur économie. Y figure également le Royaume-Uni mais avec une position moins favorable, le secteur financier étant très important.
- enfin, les pays dits 'résistants', dont la notation n'est pas testée encore pour l'heure mais avec des configurations de risque divers comme vous pouvez le constater dans le canevas ci-dessous :
Les meilleurs risques à ce jour les plus souvent cités sont: le Canada et la Norvège. Le premier a des banques et des assureurs jugés parmi les plus sûrs et une gestion des finances publiques équilibrée mais dépend fortement de son puissant voisin. La Norvège est une des seules à ne pas être encore entrée en récession, dispose d'excédents de sa balance commerciale et d'un fonds souverain "le fonds pétrolier" qui est le plus gros investisseur en Europe dont le bilan est rempli d'actifs et non de dettes. Plus éloignés, l'Australie et surtout la Nouvelle-zélande figurent aussi parmi les moins à risque pour l'heure.
• La grande inconnue pour l'avenir - le coût financier des renflouements et des engagements :
Devant le déferlement de plans de relance, garanties en tout genre et engagements divers que les Etats ont engagé, octroyé ou pris de manière explicite ou implicite, il est apparu rapidement insuffisant de se contenter des ratios classiques tels que le rapport endettement public / PIB pour juger des risques.
Devant cette dégradation très rapide, Moody's vient de proposer justement une nouvelle carte des risques pour les gouvernements (Cf. illustration ci-dessous) qui montrent les difficultés auxquelles les agences de notations et tous les investisseurs en général, même ceux rompus à l'évaluation de ce type de risque, sont confrontés.
Le canevas ci-dessous fait le rapport entre l'exposition des finances publiques à différents risques exprimés en terme de probabilités (certain, conditionnel et incertain) et le niveau d'engagement auquel l'Etat est soumis (obligation contractuelle, engagement politique, et engagement politique potentiel)
A l'exposition certaine vis à vis de la dette publique qui est une obligation contractuelle s'ajoute une kyrielle de nouveaux engagements : des garanties explicites vis à vis du secteur bancaire dont nul ne sait si elles seront 'appelées' (utilisées) ou vis à vis du marché monétaire mais aussi les pertes sur les rachats de dettes et encore plus incertain, le coût des recapitalisations de sociétés financières ou industrielles, tout ceci pour la 1ère ligne.
Viennent ensuite les inconnues sur d'éventuelles baisse des actifs des fonds détenus pour payer les retraites et les pensions mais aussi pour les pays ayant un système de retraite par capitalisation (Pays-Bas par exemple), d'éventuels engagements à compenser les pertes de fonds privés en tant que traitement social. Se posent également de plus en plus souvent la question du renflouement des états pour les nations fédérales, de régions, de communes, de collectivités locales et tous les engagements implicites faits aux épargnants qui atteignent des sommes considérables.
Enfin, devant un certain nombre de cases 'blanches' qui peuvent être remplies dès demain ou lundi par un engagement gouvernemental vis à vis d'une entreprise (ex. le renflouement sans fin d'AIG) ou vis à vis de pays tiers comme les prêts qui viennent d'être accordés à la hausse en Europe aux Pays de l'Est, tout cela rend le bilan irréalisable et en constante augmentation.
Jour après jour les sommes s'accumulent et il est impossible à ce jour de présenter l'addition précise.
On verra à partir de ces canevas quelques cas les plus importants, notamment pour la France et les USA mais l'approche par les risques dans un premier temps à ceci d'essentiel qu'elle montre que la peur et les craintes s'alimentent de 2 aspects : la dégradation d'une part mais aussi et surtout l'absence totale de visibilité.
Et à ce niveau finalement on "boucle la boucle" avec la racine même de la crise qui se situe dans l'immobilier, US particulièrement, et dans les actifs qui y sont adossés.
A la tendance baissière des prix immobiliers, risque connu, s'ajoute l'inconnue liée à l'incapacité à pouvoir donner une valorisation aux valeurs financières cotées qui y sont adossées, risque inconnu. Pour imager, c'est une chose pour un ménage d'évoluer dans un environnement où le prix d'un bien qu'ils convoitent baisse sans savoir où est le point bas mais il est bien pire d'évoluer dans un environnement où personne n'arrive à dire où sont les prix. C'est ce qui se passe actuellement sur une très grande partie des marchés du crédit.
Dans un édito paru fin septembre, G.Crovitz indiquait dans le WSJ avec malice que, tout seul, le banquier J.P Morgan (l'homme à l'époque et non la banque) en 1907 avait réussi en 8 semaines à solutionner ce que le Trésor et la 1ère banque centrale au monde n'arrivaient pas à résoudre en plusieurs mois. Au-delà de cette boutade ou de ce 'tacle', il rappelait une chose primordiale :
"Il semble que nous ayons aussi perdu de vue une chose basique, bien connue de J.P Morgan, qui aurait rappelé les paniques de 1837, 1857, 1873 et 1897 : tant que les prix ne sont pas rétablis, les paniques liées au crédit ne finiront pas et les sociétés financières resteront 'gelées'." L'article rappelle également que le plus tôt on arrive à de nouvelles évaluations des actifs et des engagements des banques, le plus tôt on peut redémarrer. Ce sont en tout cas les leçons du passé.
Ce n'est qu'un début, mais, dans cette crise, un certain nombre d'états viennent d'être aspirés dans ce phénomène. Non seulement les sommes en péril à la base dans l'économie et le système financier remontent tout en haut et fragilisent les Etats mais la nature du risque insidieux s'y répand du fait des difficultés à évaluer.
Qu'ils aient à prendre en charge des sommes conséquentes est une chose difficile mais le plus souvent gérable. Par contre, subir l'incertitude sur ses propres engagements trop longtemps est un risque bien plus lourd pour la confiance.