Apprendre et comprendre la finance : évolution de la courbe des taux US

Publié le par Gilles Caye

copyright © Apprendrelabourse.org - Quelques articles sont déjà parus sur les taux, avec la façon de les présenter et de les approcher. Vous pouvez les retrouver en lien à la fin de celui-ci. Jusqu'ici, je vous ai présenté un peu à la manière de l'inflation avant tout le tableau actuel avec une description de la situation présente et quelques explications. Comme pour l'inflation et d'autres sujets, je mets l'état des lieux avant les aspects théoriques et grilles de lecture classiques qui viendront ultérieurement. C'est une question de méthode. L'habitude lorsqu'on étudie un sujet est de démarrer sur les aspects théoriques et ensuite de voir des exemples. Mais ici, nous ne sommes pas 'en cours', il n'y a pas "d'accroche marketing" journalistique ou 'd'effet rythme' à produire dans le cadre d'une formation de 3 jours, il y a simplement à prendre appui dans le réel, jour après jour et sans relâche. Comme pour les graphes que je vous invite à visualiser calmement avant de vous jeter dessus pour tracer des droites et  cliquer pour faire apparaître mille indicateurs savants, je vous encourage à prendre appui sur les éléments que délivre le terrain puis seulement de vous servir des éléments théoriques pour les aborder.

Cela dessert sans doute un peu l'approche pédagogique immédiate mais dans la durée procéder de la sorte permet d'éviter le plus souvent de "décoller", la bourse étant un terrain très propice à ce genre de lévitation personnelle. Notre esprit peut être par exemple en accord avec la position des monétaristes sur l'inflation, mais notre portefeuille et nos résultats sans doute un peu moins si la situation de l'inflation qui nous concerne dans un environnement donné est insuffisamment évaluée surtout dans un environnement comme celui-ci où prix immobiliers connaissent des pressions à la baisse pendant que les prix des matières premières sont à la hausse, entre autres éléments de grande voire très grande diversité et variations actuelles (cf. Des situations très contrastées chez les 27)

Pour les taux et particulièrement pour la courbe des taux, cela est encore plus important. Nous verrons les principales forme de courbes de taux et ce qu'elles sont sensées nous indiquer 'dans l'absolu' pour la marche future des choses mais avant tout il convient de comprendre leur dynamique et les lier à différents éléments déjà vus ensemble. Enfin, nous aborderons son fondement.

Le 9 février 2005 (en gris sur le graphe), la courbe avait une forme concave et progressive classique avec comme point de départ 2,5 % environ qui correspond au taux directeur de la FEd que vous pouvez retrouver sur
le graphe d'hier (en rouge) à la période concernée. Au fur et à mesure que la politique monétaire devenait plus restrictive (la croissance revenant) et donc que la FEd remontait ses taux jusqu'à 5,25 %, la courbe évoluait jusqu'à devenir plate et même presque inversée. Nous sommes en avril 2007. Avec les évènements de l'été et le ralentissement économique, la politique monétaire est devenue plus accommodante (pour soutenir la croissance) avec des taux directeurs parvenus à 2 %, point de départ actuel de la courbe
(ici au 9 mai)

Mais un mois auparavant, début avril 2008, on voit que la courbe était plus basse principalement liée au mouvement de 'fly to quality', soit la recherche de sécurité, les investisseurs préférant les obligations gouvernementales aux actions pendant les soubresauts boursiers. Les taux sont d'ailleurs allés pratiquement s'écraser sur le sol au plus fort de la crise (2,10 % à 5 ans le 17 mars)

Vous avez sous les yeux en lui donnant une autre appellation, la courbe de rendement du dollar suivant les placements que les investisseurs y trouvent, ceci correspondant à la courbe d'attractivité de la devise point vue dans Taux et euro / dollar : une liaison critique . Si le dollar a chuté, c'est en raison en partie de la baisse de rémunération dont il a fait l'objet, il se stabilise actuellement et a repris quelques forces sa rémunération ayant tendance à remonter comme on le voit ici.
L'évolution des courbes des taux entre 2 devises est donc le rapport de leur attractivité ayant des conséquences sur l'évolution des devises. Dès le départ du site ce point avait été évoqué en décrivant le rapport théorique: cf. Apprendre et comprendre la bourse, la finance et l'économie : taux d'intérêt et devises

Nous avons là aussi les éléments essentiels pour la compréhension des grands principes des évolutions d'une courbe de taux :

- Qui détient les clefs des taux à court terme ? La Fed
- Qui détient les clefs des taux long terme ? Ils n'ont pas bougé d'ailleurs ou presque sur le 30 ans... réponse : les marchés

La Fed et les marchés font des anticipations sur l'inflation et l'économie. Le rendu de la courbe des taux est ainsi un outil important pour approcher et anticiper notamment les cycles économiques et notamment les récessions et voir ce que les marchés de taux anticipent  (élément dont je me sers notamment pour vous indiquer dans les news les probabilités de baisse ou de hausse de taux à venir, hors de mon avis personnel)

La description des lectures théoriques des courbes des taux dans leur évocation habituelle sont ainsi centrées sur le cycle économique et l'inflation en tant qu'indicateur avant tout mais elles n'intégrent pas ce mouvement de 'fly to quality' dans toute sa dimension dont il faut pourtant tenir compte et qui explique une grande part de l'évolution de la courbe des taux que vous avez là sous les yeux. Parfois cela donne même quasiment toute l'explication de la courbe.
C'était d'ailleurs à certains moments l'élément le plus déterminant des évolutions au début 2008, passant devant toute autre considération sur les 'formes classiques' de courbes. Pour l'historique récent, vous pouvez vous référer aux multiples news du soir qui faisaient part de ce refuge incessant dans les obligations d'Etat durant l'hiver à vous lasser un lecteur.

Voyons ce que le Président de la Fed, banquier des banquiers planétaires pendant 20 ans (à gauche. Nouveau patron : Ben Bernanké au centre) nous indique dans ses récentes mémoires 'Le temps des turbulences' (2007) à ce sujet :

Nous sommes il y a 10 ans au moment du risque systémique que faisait peser la faillite du fonds LTCM :

"Hollywood n'aurait pu imaginer un scénario financier catastrophe plus spectaculaire (...) LTCM était une société prestigieuse, prospère (...) 2 économistes lauréats du prix nobel, dont les modèles mathématiques perfectionnés étaient des rouages essentiels de cette machine à faire de l'argent, comptaient parmi ses dirigeants (...) LTCM s'était spécialisé dans les opérations d'arbitrage risquées... réalisées avec un effet de levier de plus de 120 milliards $ empruntés aux banques. il détenait aussi 1 250 milliards $ en produits dérivés, des contrats sophistiqués qui n'apparaissaient qu'en partie en son bilan.
(...) La cessation des paiements russes fut l'iceberg auquel se heurta ce titanic financier. La crise avait faussé les marchés d'une manière que même ces prix nobel n'avaient pas imaginée (...)

Le 7 octobre, j'ai déclaré devant un parterre d'économistes que j'avais observé les marchés américains pendant 50 ans et n'avais jamais rien vu de pareil. J'ai dit en particulier que les investisseurs en bons du Trésor se comportaient irrationnellement en payant un surcoût substantiel pour acquérir les bons les plus récents et les plus liquides alors que ceux qui l'étaient moins présentaient les mêmes garanties. Cette ruée sans précédent vers les liquidités ne reflétait pas un jugement sain mais un mouvement de panique.
"Ils disait au fond : 'je veux pouvoir récupérer mes billes instantanément. Je ne veux pas savoir si un placement est risqué ou non. Je veux dormir tranquille et pouvoir me retirer du marché le plus vite possible'" Les économistes savaient où je voulais en venir. Sur un marché, la panique est semblable à l'azote liquide - elle peut rapidement tout geler. Et, effectivement, les études effectuées par la Fed montraient déjà que les banques hésitaient de + en + à prêter."

'Mouvement de panique'... 'récents' et 'liquides', on voit également sur le graphe le report sur les maturités ou échéances courtes durant le dernier mouvement et le fait que l'inflation en hausse n'a pas été un frein dans ce cadre, les investisseurs se ruant sur les placements jugés les plus sûrs et les plus courts, faisant fi de toute autre appréciation pour une grande part d'entre eux (la courbe s'écrase sous le poids de la demande en obligations, les taux baissent et trouvent preneurs sans problèmes, les taux à 3 mois, 6 mois et 1 an sont même inférieurs au taux directeur qui régit le marché monétaire bancaire pour le taux au jour le jour)

Conclusion: Les lectures classiques et habituelles de la courbe des taux sur l'économie et l'inflation connaissent des périodes de l'histoire où ces appréciations deviennent secondaires, ceci se basant sur des principes psychologiques humains de base mais immuables, les mêmes  pour un prix nobel ou quelqu'un qui n'a jamais entendu parler d'économie. C'est le même mouvement que celui des premiers hommes rentrant dans leur caverne leurs premières récoltes, une fois la pluie venue. Tout le monde est remis à niveau.
Enfin, une courbe des taux est aussi celle du crédit d'un pays, ici les USA et leurs obligations (L'investisseur détient une créance gouvernementale) C'est la courbe de l'évaluation d'une solvabilité. Comme cette solvabilité est vue comme  étant la meilleure depuis des décennies, il y a là un 'réflexe' d'aller y chercher refuge. C'est en quelque sorte l'étalon : une entreprise emprunte sur les marchés à un taux supérieur à l'Etat US et dispose d'un spread (ou différentiel de taux d'intérêt) de x % en plus en fonction de l'appréciation des marchés sur sa qualité. Il ne faut pas cependant oublier  que cette attractivité peut disparaître en cas de solvabilité en baisse. Plusieurs pays ont vu leurs taux augmenter à travers l'histoire pour attirer des prêteurs face à des situations de dégradations ou de perte de confiance. Ce n'est pas une prédiction ou une alerte mais le simple principe immuable de la cotation des crédits émis par une entité quelle qu'elle soit. 

         Crédit... Confiance, un même mot : la base fondamentale d'une courbe de taux. 

A partir de là nous pourrons aborder prochainement :
- Comment lire rapidement la courbe des taux pour évaluer la conjoncture (croissance et inflation)
- les motivations rationnelles du refuge dans les obligations 

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